Compte-rendu de la séance du Séminaire “Questions de méthode” du 20 janvier 2022. Réalisé par Margaux Aupoil, Sarah Pernet, Allan Pons (étudiant.e.s du parcours SCEN).
Holly Hargis est une chercheuse, doctorante au laboratoire PACTE de Grenoble et affiliée à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS) situé en région parisienne. Le 20 janvier 2022, elle nous a fait l’honneur de nous présenter sa thèse, qui consiste à réaliser une enquête ethnographique sur les socialisations enfantines.
Sujet de la thèse
Le projet de thèse d’Holly Hargis est né de ses réflexions et travaux réalisés durant ses deux années de master. Effectivement, elle a tout d’abord réalisé un mémoire ethnographique en première année qui l’a conduit à utiliser comme outil d’enquête l’observation participante, en réalisant une enquête sur quatre familles aux profils socio-économiques différents. Cela lui a notamment permis de réaliser une enquête qualitative, méthodologie qu’elle préférait.
Durant sa deuxième année de master c’est une autre méthodologie qu’elle a mobilisé : une enquête quantitative, basée sur l’exploitation d’une base de données, issue de l’enquête ELFE (Enquête Longitudinale Française depuis l’Enfance). Ainsi, durant ces deux années, elle a pu exploiter différentes méthodes d’enquête et produire des résultats quantitatifs et qualitatifs qui ont permis petit à petit de dessiner son projet de thèse. Elle a par ailleurs, au cours de ces études, développé un fort attrait pour la sociologie de l’enfance, ce qui l’a conduit à nous présenter aujourd’hui sa thèse qui s’intéresse à décrire finement les socialisations langagières enfantines “en train de se faire”. Inspirée de plusieurs travaux sur les inégalités entre les enfants: Calarco (2014), Lareau (2011), Lahire (2019), Lignier et Pagis (2017), elle nous a présenté la méthodologie qu’elle utilise dans le cadre de sa thèse.
Sa thèse est problématisée autour de 3 tensions. Premièrement, l’enfance est plus souvent étudiée sous le prisme de la psychologie, de la médecine ou encore de la biologie, mais encore trop rarement sous le prisme de la sociologie. Deuxièmement, il y a une tension au sein même de la sociologie, concernant la manière dont les enfants acquièrent des façons de faire. Sont-ils déterminés par leur socialisation ? Sont-ils acteurs de leur apprentissage ? Elle explique qu’il suffit d’observer des enfants se comporter pour comprendre qu’ils ont bien un rôle dans leur socialisation. Troisième et dernière tension, on observe une tendance à mettre en opposition les classes supérieures, dont la socialisation est proche des savoirs légitime de l’école, et les classes populaires, dont les enfants seraient dominés par leur distance avec les savoirs légitimes de l’école. Dans cette configuration, il manque les groupes sociaux moyens. Pour répondre à ces différents problèmes, Holly Hargis propose d’observer la socialisation langagière des enfants « en train de se faire ». C’est pour elle l’un des moyens de rendre compte de la manière dont les enfants apprennent à parler, et plus largement des socialisations langagières, de la socialisation enfantine tout en prenant en compte l’enfant comme acteur ou agent en même temps.
Méthodologie
Dans le cadre de sa thèse, Holly Hargis utilise une méthodologie mixte. Tout d’abord, elle réalise une ethnographie de six familles, qu’elle a trouvé par interconnaissance. L’enquêtrice passe une semaine d’affilée chez une famille, du lundi au vendredi, de l’heure à laquelle les enfants rentrent de l’école, jusqu’à ce qu’ils aillent dormir. Ce processus est répété trois fois, sur une durée d’un an et demi. Ainsi, elle peut les observer sur le long terme, entre plusieurs niveaux scolaires, qui correspondent au passage de la grande section au CP. Elle a fait le choix d’utiliser le format d’une semaine complète pour bien s’immerger dans la famille, afin que sa présence devienne petit à petit habituelle dans la vie familiale de chacune des familles. Pour parfaire sa posture, Holly Hargis nous a expliqué qu’elle s’adapte à chaque famille étudiée. Elle a réalisé un travail d’imprégnation et d’intégration pour que sa présence ait l’air la plus naturelle possible. Le fait de porter une attention particulière à sa présence dans ces familles permet deux choses : la première est que cela lui permet d’analyser finement son objet d’étude, et la seconde lui permet d’être capable de réaliser une analyse réflexive de l’impact de sa présence par rapport à son terrain. Concernant sa prise de notes, elle enregistre toutes les conversations au sein du foyer. Elle considère que cette façon de faire est plus discrète, et qu’elle permet aux enfants de prendre l’habitude de la position d’enquêtrice adoptée par Holly. De plus, comme elle est elle-même actrice de l’ethnographie engagée, il lui arrive de jouer avec les enfants, et de participer aux diverses tâches du foyer, ce qui serait plus compliqué si elle prenait des notes en même temps.
L’ethnographie n’est pas son seul matériau : elle utilise également l’enquête ELFE (Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance), une enquête quantitative qui suit une cohorte d’enfants sur plusieurs années. Dans cette enquête, ce sont environ 18 000 enfants qui font l’objet d’un questionnaire à 1 an, 2 ans, 3 ans et 5 ans et demi (questionnaire rempli par les parents) dont les thèmes sont aussi variés qu’il y a de discipline associée à l’enquête : médecine, psychologie, sociologie, etc. Les familles observées ne font pas partie de la base ELFE. Alors, pour lier ces deux terrains, elle a utilisé les caractéristiques sociales des familles enquêtées pour les situer par rapport aux enquête.es de l’enquête ELFE.
L’un des avantages de l’ethnographie permet de contourner les problèmes du questionnaire. En effet, l’ethnographie qu’elle a choisi de réaliser est une méthode qui permet davantage de se focaliser sur les processus enagagés lors de la socialisation langagière des enfants. Appréhender le langage des enfants lorsqu’ils sont dans leur foyer, avec des personnes, des objets et des lieux qui leur sont familiers, est une approche qui complète les déclarations des parents sur les savoirs de leurs enfants. Selon Florence Weber, cette méthode d’enquête, alliant matériau qualitatif et quantitatif, est une ethnographie « armée » par les statistiques (Weber, 1995).
Relation d’enquête
À propos de sa place dans la situation d’enquête, Holly Hargis est aidée par le fait de ne pas venir de France. En effet, elle explique que certain.es des familles ont pu comprendre qu’elle venait découvrir le quotidien d’enfants français, ce qui a pu faciliter son entrée et son intégration sur le terrain.
Le lancement du terrain notamment, particulièrement en temps de COVID, a été jonché de difficultés. Holly Hargis a été confronté à des difficultés pour trouver des familles acceptant l’irruption dans leur vie privée d’une personne leur étant étrangère, mais cette difficulté a été relativement atténuée par le fait que la première famille recrutée l’a été par le biais de son réseau d’interconnaissance. Par la suite, la méthode “boule de neige” a permis d’établir un contact privilégié avec les autres familles, facilitant l’accord de participation. Finalement, certaines caractéristiques sociales de Holly Hargis ont également facilité l’acceptation des familles. Notamment, le fait d’être une femme facilite leur accord, permettant de s’éloigner du “spectre de la pédophilie” (Lignier et Pagis, 2017).
Un autre point important concernant la relation d’enquête est le rapport au recueil de données. En effet, la présence sur les lieux d’un outil d’enregistrement peut biaiser les interactions entre les membres de la famille, inciter à modifier ses paroles ou ses actes en fonction de leur désirabilité sociale. De la même manière, la prise de notes sur le terrain peut rappeler aux enquêté.es qu’Holly Hargis est là pour les “étudier”, rappelant la distance entre la scientifique, “experte”, et l’enquêté.e, “profane”. De ce fait, elle décide de limiter la prise de notes au minimum, privilégiant le fait de noter a postériori, et abandonne l’idée de filmer durant son terrain pour y préférer l’enregistrement audio qui, malgré les difficultés de retranscription que cela implique, a l’avantage de se faire plus facilement oublier par les enquêté.es. Par ailleurs, elle prend ponctuellement des photos pour illustrer certains moments spécifiques de socialisation enfantine, tels que des temps de jeu.
Premiers résultats
Malgré le fait qu’elle soit encore au milieu de son enquête, Holly Hargis a pu relever un premier résultat concernant la socialisation langagière de ces enquêté.es. En effet, elle a constaté que les ainés des enquêté.es tenaient un rôle important dans l’apprentissage du langage et de la socialisation de leurs adelphes. Effectivement, ils semblent, selon Lahire (1995), être “mobilisés par les parents comme relais”, mais de manière différente selon la classe sociale des parents, le genre de l’enfant, mais aussi la composition de la fratrie.
Ainsi nous pouvons conclure avec cette citation qu’elle nous a partagé : “Un goût, une disposition, un savoir, ne sont pas seulement appropriés parce qu’ils sont vus ou entendus, mais aussi parce qu’ils sont portés par une personne qui occupe une place reconnue aux yeux de celui qui tend à se les approprier “ (Court et Henri-Panabière, 2012 : 10).
Pour Holly Hargis, ce constat semble prendre une place importante dans l’analyse de ces résultats, résultats que nous prendrons plaisir à lire, une fois sa thèse achevée !